Pop News (France)
September 25, 2002

IDAHO

Passer une heure avec Jeff Martin et John Berry dans un petit café, voilà qui ne se refuse pas. L'occasion de sournoisement reposer à un Jeff plus serein les mêmes questions qu'il y a deux ans (les réponses seront légèrement différentes) et, pour ces deux vieux complices, de jeter un regard sur dix années de carrière d'un groupe unique. A l'heure où sort "We Were Young and We Needed the Money", compilation de titres oubliés, et où le groupe vient en France pour quelques trop rares concerts, retour sur cette entrevue.

Comment est venue l'idée de sortir une compilation retrospective ?
Jeff : C'est venu d'une conversation au téléphone, avec John. Je lui parlais de toutes ces chansons qui étaient restées de côté au fil des années et je lui ai suggéré de sortir un CD, fait à la main, de le mettre en vente à quelques exemplaires sur le site web d'Idaho juste pour les fans. Et du coup j'ai réécouté les chansons… et je les ai trouvées bonnes ! je ne les aimais pourtant pas du tout à l'époque. Alors John a dit "et bien sortons les !".
John : on pourrait en parler longtemps… Il nous a semblé que ça pouvait marcher, que la mayonnaise prenait.
Jeff : quand j'ai commencé à travailler sur le projet, à mixer les morceaux, il m'est apparu qu'elles étaient bien meilleures que je ne le pensais… il y avait d'autres chansons, ça aurait pu être un double album, mais ça aurait été fou !! Je savais que j'avais besoin de temps pour sortir un nouvel album d'Idaho, que je voulais prendre le temps avant de me lancer, mais j'étais attaché à l'idée de sortir un album par an.

Quelle est la part créative dans le fait de reprendre ces chansons et de les compiler ?
John : Très psychotique…
Jeff : j'ai eu seulement un mois pour mixer ces chansons. Je n'ai rien réenregistré. Mais les chansons étaient dans un sale état, beaucoup d'entre elles n'étaient que des démos, certaines juste des idées. Il fallait retrouver le programme de la boîte à rythme, nettoyer les parties vocales… ce n'était pas vraiment comme enregistrer un disque, plutôt comme faire le ménage. En tout cas, ce n'était pas aussi satisfaisant qu'enregistrer un disque.

Tu es réputé être un sacré perfectionniste… le fait d'avoir peu de temps n'a pas été trop frustrant ?
John : oui, je confirme, il l'est.
Jeff : oui, effectivement, mais justement, il faut que j'aie des limites, des dead lines, car sinon ça ne s'arrêterait jamais, je ne pourrais jamais dire que je suis content du résultat. Cela n'empêche pas que ces dead lines là ont été terribles !

Est-ce que cela n'a pas été trop déprimant de se replonger dans le passé en réécoutant ces chansons ?
Non, quand suffisamment de temps a passé, c'est plus facile. C'est comme revoir un vieil ami après 4 ou 5 années, tu ne te souviens pas de ses défauts, seulement de ses bons côtés.

L'album sort juste à temps pour les 10 ans de votre première sortie non ?
Oui, l'anniversaire était il y a deux mois.
John : c'est vrai qu'on avait pensé faire un "best of" pour les 10 ans du groupe, mais il y avait des problèmes de droits avec Caroline (NdlR : premier label d'Idaho), donc la sortie de cette compilation tombe bien, même si le but n'était pas de commémorer cet anniversaire.

Tu as un nouveau public en France, grâce à la distribution des deux derniers albums, penses-tu que cette compilation va pouvoir leur servir de séance de rattrapage, leur faire découvrir à quoi ressemblent les premiers albums d'Idaho ?
Jeff : Oui, effectivement.
John : d'un autre côté, ces chansons étaient un peu des moutons noirs à l'époque, c'est pour cela qu'elles n'ont pas trouvé leur place sur les albums, donc c'est un peu délicat de dire qu'elles en sont représentatives.
Jeff : elles ne sont pas apparues sur les albums parce qu'elles étaient trop standards à mon goût, pas assez originales. C'est peut-être parce qu'elles avaient en commun d'avoir été écartées d'un album qu'elles vont si bien ensemble. Pour que l'ensemble soit homogène, j'ai quand même dû travailler sur le son. Mais ça a été assez intéressant. On pourrait même apprendre à en jouer certaines en concert.

Quel regard jettes-tu sur "Levitate", avec quelques mois de recul ?
Oh, je l'aime beaucoup plus maintenant que lors de sa sortie. Je pense que je le perçois maintenant de la même façon que les autres gens le perçoivent ! Tant de choses ont changé d'un point de vue musical pour moi depuis… le fait que je fasse plus de scène avec John, un vrai groupe, que l'on compose de plus en plus live, que les choses soient plus dynamiques. Même s'il ne s'est écoulé qu'un an, j'ai l'impression qu'il s'en est écoulé cinq. J'ai fait ce disque très rapidement, mais je l'aime bien, il y a quelques chansons parmi mes favorites dessus.

À l'exception de quelques morceaux au début du disque, le reste de "Levitate" pouvait passer pour une seule et même longue plage musicale, c'était quelque chose d'intentionnel ?
Oui… Davantage que "Hearts of Palm" qui a été fait sur une période d'un an et demi, donc est plus varié, naturellement. Dans "Levitate", il y a moins de variations, car il a été fait en deux mois, comme l'avait été "Alas" d'ailleurs. C'est pour cela que cela peut donner cette impression, je suis d'accord.

La dernière fois qu'on s'était vus, tu nous avait dis que le processus de composition était quelque chose de solitaire pour toi. Maintenant, il semble que tu composes plutôt en groupe. Quelle est la cause de ce changement ?
(rires) c'est bien de ne pas faire toujours les choses de la même façon.
John : tu continues à composer tout seul…
Jeff : oui, d'ailleurs le prochain album comportera également des titres composés en solitaire. J'aime bien être assis devant mon ordinateur, composer de cette façon, au calme. Mais je suis en train de découvrir que composer "live", en jouant fort, avec des interactions avec d'autres musiciens est quelque chose de très intéressant. Et en plus, les titres se transposent facilement sur scène, contrairement aux titres de "Hearts of Palm" qui étaient très compliqués à jouer.

La scène est devenue quelque chose de plus important pour Idaho ?
C'est très important d'un point de vue "carriériste". Quand vous ne tournez pas, tout stagne. Il est crucial de sortir de sa bulle et de jouer… des articles sont écrits sur toi, tu passes à la radio. Tu es obligé de sortir, de t'ouvrir au monde. Je ne le pensais pas avant, mais en fait si. Et c'est d'autant plus important pour moi que j'ai tendance à être plutôt casanier, que je n'aime pas abandonner mon environnement, c'est bien de forcer sa nature.

C'est aussi l'occasion de rencontrer d'autres gens, d'autres musiciens…
Oui, cela dit, nous jouons souvent seuls ! le festival de Dour est le premier festival dans lequel nous jouons.
John : oui, nous aurions pu avoir l'occasion de jouer dans un festival l'an dernier… et puis au dernier moment, nous nous sommes faits éjecter par un autre groupe… par… (il cherche le nom du groupe, chantonne…)… ah Mark Linkous, Sparklehorse.
Jeff : il y a toujours un groupe qui nous ressemble, mais qui est plus connu que nous pour nous piquer la place…
John : j'étais très déçu.
Jeff : l'an dernier a été plein d'occasions manquées. Nous avons dû annuler notre tournée, la compagnie aérienne à laquelle nous avions acheté nos billets a fait faillite quelques semaines avant qu'on vienne. Dommage parce qu'on sentait un début d'intérêt ici en Europe et nous n'avons pas pu venir.

Et que devient Idaho Music ? vous avez lancé ce label pour sortir les disques d'Idaho, mais je crois savoir que vous allez aussi sortir les disques d'autres artistes…
Jeff : oui… John, tu peux lui dire de quoi il s'agit…
John : c'est Melissa Auf Der Maur. Un album de reprises de Black Sabbath (rires). C'est sensé être un album drôle, très "tongue in cheek".
Jeff : elle joue live avec des amis à nous, et on les a enregistrés.
John : elle est fantastique live, ça aurait dû être un DVD mais le projet aurait coûté trop cher.
Jeff : c'est visuellement très marrant, ils sont costumés.
John : ça a été beaucoup de travail pour nous, on ne le pensait pas.
Jeff : il s'est avéré très difficile de négocier avec d'autres artistes, de composer avec leurs personnalités.
John : mais tout va bien, il devrait être distribué bientôt. Nous avons aussi lancé un site web, retrophonic.com. C'est une boutique en ligne où l'on vend les disques d'artistes qui ont été associés à Idaho au fil des années ou des artistes que nous aimons, dont on peine à trouver les disques et auxquels on espère donner la visibilité qu'ils méritent. Ça a été beaucoup de travail aussi pour Jeff et moi. C'est une véritable start-up.
Jeff : c'est un ami à nous qui a fait le graphisme aussi, il est très doué, il a aussi réalisé la pochette de "Figure 8", d'Elliott Smith.

Et qu'advient-il de la série de lives que vous aviez inaugurée avec "People Like Us Should Be Stopped", à quand la suite ?
Jeff : on va continuer. Il faut du temps pour réécouter tous les enregistrements que nous avons.
John : nous avons enregistré certains concerts de notre tournée sur le Côté Ouest en début d'année. Il faudra voir ce que cela donne.
Jeff : Tant de choses à faire, si peu de temps…

Vous avez pu lire les chroniques qui ont été consacrées à "Levitate" en Europe et en France particulièrement ?
Non, assez peu… je ne lis toujours pas le français. Que disaient-elles ?


Certaines parlaient, entre autres choses très positives, de ta difficulté à écrire des paroles, que l'on avait d'ailleurs évoquée lors de la précédente interview...
Je ne suis pas très doué, j'en suis conscient… et je pense que cela m'aide à les écrire, elles finissent par s'améliorer, du fait que je dois me battre, c'est une véritable lutte en fait. La musique, les mélodies viennent toutes seules, les paroles c'est plus difficile.

Dans une autre chronique, le journaliste écrivait que tu avais sans doute beaucoup écouté Radiohead avant de composer "Levitate"…
Quelque chose que je n'ai jamais fait…
John : hein ? quoi ? qui ça ? qu'est-ce qu'il a écrit ?
Jeff : que "Levitate" était très influencé par Radiohead !
John : quel trou du cul ! qu'il aille se faire voir.

La dernière fois, tu nous avais parlé de l'envie de faire de la musique pour des films ou des publicités…
Jeff : je ne l'ai pas fait, je ne sais pas comment me vendre !

Sur ton site web, on trouve un morceau en mp3 qui pourrait accompagner à merveille des images…
Oui, d'ailleurs ça a été le cas… il a servi pour un film réalisé par un ami, qui n'a pas été distribué et qui s'appelle "Happy Campers". Tu pourras probablement le voir à bord d'un avion, ou le louer dans un vidéo club.

Idaho a 10 ans. Comment vois-tu le groupe dans 10 autres années ?
Oui (rêveur)… oui, je pense que je serai toujours là… peut-être. Je suis fier que ça ait duré aussi longtemps, cela donne un sympathique catalogue de musique. Une longue carrière, c'est comme un voyage qui continue sans arrêt, c'est intéressant. A un moment, je pensais sortir des disques sous le nom de Jeff Martin, mais en définitive, Idaho est quelque chose de déjà très personnel, et le nom d'Idaho me permet d'impliquer d'autres personnes quand le besoin ou l'envie s'en font sentir. Le groupe n'a jamais été isolé ou restreint au sein d'un genre, et on peut continuer à changer sans cesse. Par exemple, cela me plairait que le prochain album sorte sous la forme d'un DVD, il y aurait de la musique, mais aussi un film. Peut-être avec des morceaux live, mais aussi un côté vrai film…
John : ce serait une comédie alors (rires)…
Jeff : oui, avec des singes… des tas de singes totalement cinglés…
John : à moins que cela n'existe déjà…
Jeff : chut !!… en fait depuis les débuts du groupe, j'ai quasiment tout filmé, j'ai des heures de bobines. Il y aurait sans doute matière à faire un documentaire sur Idaho. On verra… On projette des images pendant les concerts, j'aime bien, c'est chouette.
John : si on ne le fait pas nous-mêmes, je pense que Jim Carrey s'en chargera… il jouera ton rôle de Jeff (rires).
Jeff : wouf !! (imitation de Jim Carrey par Jeff Martin… Effectivement il y a plus qu'un petit quelque chose, tout le monde est mort de rire)
John : en fait, il est très drôle, tout le monde ne voit toujours que son côté sombre, mais il est très drôle.
Jeff : surtout quand j'ai faim.

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